Daniel MACOUIN, dimanche et lundi de pâques 2000, récriture d'une note datant de plusieurs années.
Suis-je éternel? Je vous prie de croire que je n'en crois rien, que ça n'est même pas un désir de ma part. et que seuls les mystères des mathématiques m'amènent à formuler une question aussi saugrenue, car il se trouve que je me suis fabriqué il y a quelques années, un petit paradoxe dont je ne suis pas certain de connaître la solution, et que je vous livre dans toute ma naïveté.
Admettons qu'il y ait eu 20 milliards d'hommes ayant vécu sur terre depuis son apparition (nous ne chipoterons pas ici et inclurons sans difficultés les néandertaliens dans cette catégorie peu recommandable, et nous embrasserons les femmes par la même occasion), et imaginons un instant que la probabilité pour qu'il existe un homme immortel soit de 1 sur 50 milliards, il est clair qu'elle peut n'avoir pas encore été réalisée ; j'en conclue que
tant que je ne suis pas mort, je ne peux être certain de n'être pas immortel[énoncé a].
Car comment, bien qu'étant homme comme Socrate, puis-je savoir que tous les hommes sont mortels?
Mais ce n'est pas là que réside mon paradoxe, la proposition ci-dessus ne me paraît pas souffrir de défaut logique rédhibitoire.Mais les choses se compliquent si on pose le problème d'une autre manière.
Regardant autour de moi, je prends conscience qu'un certain nombre d'hommes meurent, ce qui me permet de prétendre que la probabilité qu'un homme meure n'est pas nulle. Mais si je vis éternellement, il devient certain que cette possibilité, aussi infime pourrait-on l'imaginer se réalisera au moins une fois, ce qui est suffisant pour dire
que si je suis immortel, je suis certain d'être mortel. [énoncé b]
Deux pistes s'offrent à moi, ou pour dire plus
justement je perçois deux voies non exclusives d'autres éventualités :
Il n'y a pas de paradoxe ici, puisqu'on ne raisonne pas sur mon éventuelle immortalité,
mais uniquement sur l'idée que je peux m'en faire. Il n'y a pas de contradiction
entre la croyance en la possibilité qu'un homme sur 50 milliards puisse
être immortel, et l'idée que je puisse me révéler celui là. Ma mort
ne sera pas non plus la preuve qu'aucun homme sera immortel, de même que le
fait que je n'ai pas gagné au Loto, ayant joué pourtant, n'est pas la preuve
que personne a gagné. On revient ici à l'espoir de gagner tant que le tirage
n'a pas eu lieu, et la croyance psychologique en sa chance peut être disproportionnée
à l'espérance mathématique.
Quant à la probabilité qu'un homme soit immortel
, elle ne relève pas des mathématiques, c'est une hypothèse relative au monde
physique. En tant que telle, elle est invérifiable et in-niable, donc non
scientifique
Si on nie l'existence même de l'infini, le paradoxe
disparaît.
Remplaçons "si je vis éternellement"
par "si je vis un nombre extrêmement grand d'années" (par exemple
plusieurs milliards de milliards et plus si nécessaire) alors il n' a plus
de contradiction avec le fait de mourir même si la probabilité qu'un homme
meure soit extrêmement faible.
Mais peut-on éliminer ainsi l'infini?
J'ai constaté que la plupart des raisonnements
erronés recelaient quelque part une confusion entre le tout et la partie.
Je crois avoir décelé ce genre de faille dans ma proposition paradoxale, à
l'endroit où on passe d'une probabilité concernant l'ensemble des hommes
(qui ici embrasse les femmes) à la probabilité qu'un homme, donc un élément
de l'ensemble, décède.
Prenons un exemple limité : je fais partie d'un
groupe d'otages de dix personnes, et cinq d'ente elles vont être exécutées
au hasard. La probabilité que je meure serait donc alors, en référence à cet
ensemble, égale à 50% (ou 0,5 ou ½ selon le mode d'écriture adopté) ce qui
est une manière courante de calculer.
Cependant, de même qu'un note moyenne de 10/20
à un devoir de grammaire pour l'ensemble d'un groupe d'élèves ne veut pas
dire que chacun à 10/20, mais peut être que tous ont 10, ou que certains ont
18 et d'autres 2, etc., de même la probabilité qu'un otage sur deux puisse
être exécuté ne veut pas dire que la probabilité que je meure soit égale à
celle de tel ou telle de mes compagnons d'infortune. Ce n'est que le somme
des probabilités individuelles qui est égale à 1/2.
Donc, si je dis : "puisque des hommes meurent,
la probabilité que j'ai étant homme de mourir est supérieure à zéro"
est une inférence fausse, me si le fait est vrai. En effet, je peux très bien
être immortel, ça n'empêchera pas d'autres de mourir, et donc la probabilité
globale pour que des hommes meurent sera supérieure à zéro.
Ainsi le paradoxe disparaît et on revient en
quelque sorte à l'énoncé A.
Si le coeur vous en dit, envoyez-moi vos remarques