Daniel MACOUIN

 

 

Petites misères

 

 

 

Janvier 1998

 

*

 


 

 

 

 

Lumbago

 

La pluie. La voiture rétive
se plaint du temps mouillé
Mon dos aussi comme rouillé
sent sa moelle occlusive

Mal de dos mal du jour. Veuillez
tromper l'inflammative
affection lombaire trop vive
cher Docteur. Enrayez

le run-away. Ma vie cursive
hélas! à ferrailler
me force et marcher tant ployé
- si la douleur esquive -

incite les méchants à railler
Amis aussi. Cultive
ironie et blague explective
spectateur égayé

d'un lumbago... Hors ma déclive
ossature voyez
mes crocs mes molaires caillées
et mes dents incisives

si dans l'instant vous étriller
ne puis : craignez
devoir demain sous ma gencive
en met vous réveiller.

 

***

 

 

Sonnet de l'écoinçon

 

L'aube vient et avec elle l'urée
bloc de cristal dur qu'un rien arrête.
Je geins. Le rein victime de l'arête
pâle qui git dans l'urètre murée

Le corps se tord ô douleur endurée
se crispe et se défend qu'on mette
des freins aux soubressauts qu'une barrette
sourde au profond de soi-même à l'orée

du jour aussi lancinamment relance
d'un long renoncement de la raison
quand après l'apogée encore avance


la souffrance où infiniment sous elle
s'enserrent les viscères en prison
de verre concassé : c'est la gravelle.

***

 

 

Chanson de la délivrance

 

Qu'il est bleu le matin quand finit la gravelle
Vienne l'amour vive la chère et l'échanson
Dansez dansez garçons avec les demoiselles
Piqûres adieu! Les cachets pour les chansons
Mâtin! c'est renouveau car s'enfuit la gravelle

Petits cailloux qu'on pousse au jeu de la marelle
Pierre des chemins dures aux pieds sans chaussons
Gemmes fins qui plus en imposez que gabelle
Gardez vos frères calculs j'ai payé la rançon:
Que se dissipe en pluie au matin la gravelle

Dansons jeunesse et vous jolie mademoiselle
Si vous cherchez Pierre parmi tous les garçons
Délestez le lithe chagrin de la nacelle
Voyez comme tout revit retenez la leçon:
Un sourire au matin vaut mieux qu'une gravelle

Comme on laisse un caillou tombé de la margelle
Dormir dans l'eau sur l'oreiller vert du cresson
Daniel forme le voeu qu'en ses années nouvelles
L'aiguille d'urée dédaigne son caleçon
Et que soir ou matin il oublie la gravelle.

***

 

 

Migraine

 

Comme court à la mort programmée dans l'arène
enragé puis hagard un taureau
je m'ébroue sous la banderille et crains l'assaut
de la pique et ses lourdes étrennes

Les couteaux des bouchers patientent dans leurs gaines
car l'heure est encore à l'apéro
premiers coups de clairons sonnés par les hérauts
puis roule tambour triste rengaine

L'aqueduc de Sylvius se peuple de murènes
copulant avec des vipéreaux
Substances blanche et grise collent en grumeaux
chaque neurone en prend pour sa peine

Désespérante aspirine au sable s'engrène
et vire au vulgaire placebo
alors me laboure l'étrave d'un canot
hérissé de harpons à baleine

Puis lentement l'étau qui comprime la veine
qui vide le trop plein du cerveau
se resserre : je crie repris par l'écheveau
finement noué de la migraine

Tout va de mal en pis, l'amour mute en obscène
le vin se bouchonne et même l'eau
pure a le goût de Javel quand sept javelots
me percent la tête et se déchaînent

Je ne trie dimanche des jours de la semaine
ne sais s'il est tard ou s'il fait chaud
à la fin je mettrais ma tête à l'échafaud
s'il peut couper court à la géhenne

Comme à l'incandescence cognent les phalènes
trop de sang heurte les brûlots
qu'énarde en ma cervelle un loup Fra-Diavolo
qui danse aux coups d'un gong endogène

De mon front serré jusqu'à l'occiput la haine
interne referme les hublots
Alors girent en rond tous les vols de gerfauts
au vent des hurlements des sirènes

Tête ma pauvre tête qu'une souveraine
marâtre découpe au chalumeau
qui tant travaille au nerf au feu et au couteau
on te recloue de cent-mille allènes

Encore si j'avais fait la pige à Silène
et couru de Bourgogne à Bordeaux
mais rien Oh! par pitié que ne suis-je un bateau
qu'on me fasse un radoub de carène

Mais que n'ai-je couru plutôt la prétentaine
Que n'ai-je brûlé tous mes vaisseaux
si je finis ainsi tel en cage un oiseau
qui se rue aux barreaux qui m'aliènent

Soudain c'est l'éclaircie Le calme rassérène
La paix irrigue les deux cerneaux
Qu'on est bien Faites Dieu qu'aille vers d'autres eaux
d'autres fronts se pencher ma marraine

 

***

 

 

 

 


 

 

Cette compilation a été réalisée
le 25 janvier 1998 par l'auteur
pour son plaisir.