Daniel MACOUIN

 

  

Fleuves

 

 

*** Texte dimanche 8 mars 1998 ***


 

 

 

Préambule

 

Des mots quelquefois vous émeuvent:

la rime liée au nom d'un fleuve

un jour que le vent fut l'épreuve

(tempête est brise pour ceux qui peuvent)

à braver sur la côte où pleuvent

les grains du ciel sombre où se meuvent

les goélands, vint aussi neuve

qu'un printemps Elle fit ses preuves

en quintains à huit pieds que des veuves

neuvièmes adoucissent - preuve

qui reste d'un mécompte- et neuves

au vers deux, au vers cinq se meuvent.

Je m'en irai encore où pleuvent

avec l'eau quelques mots qui peuvent

tenter de l'imprimeur l'épreuve:

la rime liée au nom d'un fleuve

ben! J'espèrerais qu'elle vous émeuve.

 

*

 

 

 

 

 

 

 

 

Au bord de l'eau suivant la sente

nous avons descendu la Charente

Au fil des ans comme une rente

seul ton regard bleu qui ne mente

Nous avons descendu la Charente

 

*

 

 

 

 

 

 

 

 

Peu me sied Paris la lointaine

je n'ai point voulu boire eau de Seine

La mer salée coule en mes veines

et son reflux balaie mes peines

Je n'ai point voulu boire eau de Seine

 

*

 

 

 

 

 

 

 

 

Ah! Que je hais Patrons vos trônes

et vos lois comme digues du Rhône

Je m'isole en mon coin de zone

en crachant sur vous sur vos jaunes

et vos lois comme digues du Rhône

 

*

 

 

 

 

 

 

 

 

Je suis mandé par téléphone

pour la fête aux coteaux de Garonne

J'y sais une vigne qui donne

quarante hectos les années bonnes

pour la fête aux coteaux de Garonne

 

*

 

 

 

 

 

 

 

 

Deux jours entiers la belle histoire

à muser sur les bords de la Loire

près des vergers pommes ou poires

Ah! Week-end ces jours illusoires

à muser sur les bords de la Loire

 

*

 

 

 

 

 

 

 

 

Je ne sais plus comment se nomme

ce fleuve à la mer en baie de Somme

Mon Dieu suis-je bête c'est comme

le complément de lieu en somme

ce fleuve à la mer en baie de Somme

 

*

 

 

 

 

 

 

 

 

Elle arborait un air serein

marchant dans la rue qui mène au Rhin

- Rheinstrasse en langue d'airain -

Hélas je n'étais qu'un marin

marchant dans la rue qui mène au Rhin

 

*

 

 

 

 

 

 

 

 

Jusant échoue lâche la bonde

d'Atlante qui s'abouche à Gironde

qui s'épanche Le flux sur l'onde

renchérit, un temps...puis s'émonde

l'Atlante qui s'abouche à Gironde

 

 

*

 

 

 

 

 

 

 

 

Dressant l'arche triple en regard

du Gardon que l'on prend pour le Gard

ce pont couvert: simple feuillard

pour l'eau de Nimes à l'écart

du Gardon que l'on prend pour le Gard

 

*

 

 

 

 

 

 

 

 

Sont les jours sans toi ma souris

tels le Mississipi Missouri

longs longs et chaque jour périt

le deux en un qui me nourrit

tel le Mississipi Missouri

 

*

 

 

 

 

 

 

 

 

M'oserais-je à dire les lèvres

confuses au montant de la Sèvre

quand la vase et l'eau comme plèvres

saoules tour à tour s'enfiévrent

confuses au montant de la Sèvre

 

*

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Pays d'entre Bordeaux et Nantes

dessous son air doux de la Charente

l'océan par moment y vente

fort Ça fait maugréer ma tante

dessous son air doux de la Charente

 

*

 

Interlude 1

 

Lassés les lecteurs qui s'émeuvent

des sauces où sont mis mes fleuves

- comptés rimés quelle épreuve!-

sauront rire ( ma foi ils peuvent)

de moi. Et leurs sarcasmes pleuvent

Je les entends : que je me meuve

plutôt en mots décousus, neuve

pratique poétique, preuve

(il en faut) par finales veuves.

Bah! les rimes ne tuent point : la preuve

en fut fournie par d'autres. Neuves

d'un siècle à l'autre elles se meuvent

dans la langue et Dieu! qu'elles pleuvent

cachées dans des vers qui n'en peuvent

mais, quoi qu'on caviarde l'épreuve:

nul ne sait gommer que le fleuve

assonant souterrain nous émeuve.

 

*

 

 

 

 

 

 

 

 

Est-ce l'image de Badour

qui se mêle aux remous de l'Adour

ou de Toulet un autre amour

Non L'océan seul de retour

qui se mêle au remous de l'Adour

 

*

 

 

 

 

 

 

 

 

La fée de la folle espérance

va et vient aux bouches de la Rance

Las! le watt à neutrons rend rance

la rade barrée qui balance

va et vient aux bouches de la Rance

 

*

 

 

 

 

 

 

 

 

Ça fait un trou dans mon ozone

on déboise les bords d'Amazône

A l'envi d'Aunis ô zone

rasée de ses pins et ses aulnes

On déboise les bords d'Amazône

 

*

 

 

 

 

 

 

 

 

Mais dis moi donc où c'est qu'il est

ce fleuve que tu dis nommé Lay

Dans les sables! Ce ruisselet

là comme une pisse de lait

ce fleuve que tu dis nommé Lay!

 

*

 

 

 

 

 

 

 

 

Il se perd dans un marigot

au marais huîtrier le ru Gô

Le sel comme un impétigo

ronge du bout d'eau le mégot

au marais huîtrier le ru Gô

 

*

 

 

 

 

 

 

 

 

Vois: c'est la vie en bouillon Kub

loin des danses lentes du Danube

la valse violente des tubes

digestifs où la rage incube

loin des danses lentes du Danube

 

 

*

 

 

 

 

 

 

 

 

Fus-je de la farce dindon

mais où donc aujourd'hui va le Don?

Les rats et les loups au guidon

rongent et pillent. Dis-moi donc

mais où donc aujourd'hui va le Don?

 

*

 

 

 

 

 

 

 

 

On s'est raté partie remise

Grise mine imitant la Tamise.

Londrès ou moi qui? la défrise

le cul à l'air et sans chemise

grise mine imitant la Tamise

 

*

 

 

 

 

 

 

 

 

Le froid ne le veux et le rends

ô Cartier au fleuve Saint Laurent

Partis jadis ai-je parents

près du feu transis se serrant

ô Cartier au fleuve Saint Laurent

 

*

 

 

 

 

 

 

 

 

Greco peignit un jour d'orage

dans Tolède austère sur le Tage.

A la boutique de ménage

j'ai acquis là une navage

dans Tolède austère sur le Tage

 

*

 

 

 

 

 

 

 

 

Dieu! Héros ne fus ni faraud

ce juillet aux rives du Douro

Mais que faire contre un taureau

chargeant? Que n'étais-je au bureau

ce juillet aux rives du Douro?

 

*

 

 

 

 

 

 

 

 

La malle arrière dans un capot

l'échappement d'Apia près du Pô

Bloqué! Quel ennui ce repos

Forcé au mitant des pots

D'échappement d'Apia près du Pô

 

*

 

 

 

 

 

 

 

 

Fleuve ou mer cette eau qui serpente

-On dit rivière pour la Charente-

qui six heures vit rebroussante?

gens d'ici rarement se vantent :

on dit rivière pour la Charente

 

*

 

Interlude 2

 

Ah les braves sires que s'émeuvent

de leurs capitaux et des fleuves

d'intérêts ou des vues d'épreuves

de billets de banques qui peuvent

farcir leurs portefeuille ou pleuv-

oir sur compte en Suisse où se meuvent

toutes les pirateries, neuves

ou vieilles, à l'abri des preuves.

Les dictateurs, leurs fils, leurs veuves,

aigrefins, gens d'affaires -preuve

riche d'un même monde - neuves

crapules, vieux arnaqueurs, pleuvent

tels charognards. En pire : eux peuvent

à la chair vive faire épreuve

noyer les gens dedans les fleuves

sans rien qui les - la Bourse?- émeuve.

 

*

 

 

 

 

 

 

 

 

Il se fait, posant en photo

Le grand canyon du Colorado

Coquette à l'envi de Mado

Dont je vois au bas du dos

Le grand canyon du Colorado

 

*

 

 

 

 

 

 

 

 

Vive la boue vive la fange

la vase à Fouras c'est l'eau du Gange

S'y plonger Ah! jouvence en lange

oléagineux bleu-orange

La vase à Fouras c'est l'eau du Gange

 

*

 

 

 

 

 

 

 

 

Ganté, j'aime mieux qu'on se taise

si le dit d'amour rime à Zambèze

Las! le truchement d'une alèse

d'Albion c'est lover en prothèse

si le dit d'amour rime à Zambèze

 

*

 

 

 

 

 

 

 

 

Juste en bas de mon petit monde

là tout près sous l'eau de la Gironde

récifs mous faits de sable abondent

Tel moi ton coeur, pilote sonde

là tout près sous l'eau de la Gironde

 

*

 

 

 

 

 

 

 

 

Que son cours est aveugle et sourd

terrible comme ton nom Amour

La Chine emportée sans retour

me ressemble C'est - Au secours! -

terrible comme ton nom Amour

 

*

 

 

 

 

 

 

 

 

La terre assoiffée de désir

pour la rare eau du Quadalquivir

vire en poussière Ah! tel gésir

Elvire et voler sans soupir

pour la rare eau du Quadalquivir

 

*

 

 

 

 

 

 

 

 

Belles mariées sans vergogne

Garonne s'entremêle à Dordogne

Chacune est gironde et gigogne

tour à tour Dès qu'au bec s'empognent

Garonne s'entremêle à Dordogne

 

*

 

 

 

 

 

 

 

 

Le petit fleuve a ses ergots

quand faut trois gouttes pour un Gô

deux vertèbres au lumbago

Moi seul suffit à mon ego

quand faut trois gouttes pour faire un Gô

 

*

 

 

 

 

 

 

 

 

Terre et ciel marinés s'emmêlent

sans appui la Seudre à des margelles

ne rime à rien Mille venelles

s'y diluent et l'eau se morcèle

quand s'appuie la Seudre à des margelles

 

*

 

 

 

 

 

 

 

 

Attendrie ô femme amoureuse

calme comme l'eau lente de Meuse

tu contemples l'ample vareuse

au cintre et tu souris heureuse

calme comme l'eau lente de Meuse

 

*

 

 

 

 

 

 

 

 

Que l'avenir me fout les flubes

Bleu vire au brun d'ici au Danube

L'amadou est sec dans nos cubes

bétons Ça va péter Plein tubes

Bleu vire au brun d'ici au Danube

 

*

 

 

 

 

 

 

 

 

Colère qui sourd de nos caves

qui ravine et rugit comme un gave

bouillonnant crie Las! Elle pave

la route pour la brune bave

qui ravine et rugit comme un gave

 

*

 

 

 

 

 

 

 

 

La vie quand? sera-t-elle lente

comme cours patient de Charente

qui vit à rebours de sa pente

la marée Ah! que je me mente

comme cours patient de Charente

 

*

Postambule

 

Pourquoi faut-il que je m'émeuve

quand le nom retentit des grands fleuves?

Est-ce de leur parcours l'épreuve

longue les menant comme ils peuvent

depuis les montagnes où pleuvent

les eaux nées de la mer que meuvent

les vents jusqu'à la vague neuve

de l'océan? Plutôt la preuve

des recommencements : la veuve

se remarie, en science preuve

ancienne est battue par la neuve

et jeunes après vieux se meuvent

en phalange en légion quand pleuvent

les obus. Mais alors qu'y peuvent

ils? Que puis-je aussi sous l'épreuve

quand le nom retentit des grands fleuves

de sang ô Verdun? Que je m'émeuve?

 

*

 

 


 

daniel macouin Fleuves  dimanche 8 mars 1998